Laïcité au travail
Assurément le projet de « Loi Travail » loi anti – sociale profondément réactionnaire inverse non seulement la norme juridique mais aussi la « norme » philosophique, le contrat social s’effaçant devant le principe de subsidiarité, la laïcité devant le communautarisme religieux.
Article 1er : « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail »
On ne parle désormais plus des droits du « salarié » mais des droits de la « personne », le collectif s’effaçant devant l’individu.
Droits de la personne, on ne peut imaginer que le législateur ignore la charge sémantique voire idéologique des mots. De « personne » à « personnalisme » il n’y a qu’un pas que la rédaction même de l’article invite à franchir. Sortirions-nous du rapport contractuel et marchand employeur/ salarié rebaptisé « actif », encadré par la loi ? Quel piège se cache-t-il derrière la transmutation du salarié en « personne » ? Voudrait-on instiller une dose de transcendance version Emmanuel Mounier ? Le prêtre du « personnalisme communautaire» ne considérait-il pas que « les transformations sociales et économiques doivent s’accompagner d’une révolution spirituelle. » Thomas d’Aquin père de la subsidiarité au secours du patronat, pour la félicité des Libéraux chrétiens et des communautaristes. Peut- on croire sérieusement que l’introduction des pratiques religieuses - fussent- elle encadrées dans l’entreprise - est de nature à promouvoir « l’institution de nouvelles libertés et de nouvelles protections » comme le prétend l’intitulé du projet de loi Travail ? » Vient-on au travail pour travailler ou pour prier ?
Question subsidiaire, « la personne » est elle soluble dans le principe de Laïcité ? On peut légitimement en douter. La laïcité ne connaît que des citoyens, qui au travail se nomment salariés et non des actifs, salariés ou personnes qui, aux termes de la loi de séparation seraient bien inspirés de laisser leurs pratiques religieuses à la porte de l’entreprise. Or le rapport Badinter, fait nouveau, prétend donner droit de cité aux pratiques religieuses au sein de l’entreprise. Ainsi, fait nouveau, l’article 6 du projet de Loi dispose :
« La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaitre de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, si elles sont proportionnées au but recherché. »
Traduction concrète : l’employeur ne peut pas interdire au salarié d’exprimer sa conviction religieuse dans l’entreprise. En revanche il peut la restreindre si la pratique cultuelle au travail nuit au bon fonctionnement de l’entreprise ( notion éminemment subjective) comme par exemple dans le cas de demande d’autorisation d’absence pour célébrer les fêtes religieuses ou d’aménagement du temps de travail pour faire les prières rituelles. En l’état actuel du droit on a pu observer que le juge a pu entériner le licenciement d’une salariée voilée « pour cause réelle et sérieuse. » Dans d’autres cas la salariée a dû être réintégrée à l’entreprise. Quant aux « droits fondamentaux » de quoi parle-t- on ? Notons au passage que la liberté de conscience qui induit toutes les autres n’est jamais mentionnée. Ces énigmatiques droits fondamentaux primeraient donc sur la liberté religieuse. A notre sens cette posture ouvrirait la voie à des jurisprudences aussi diverses que variées. La recommandation Badinter loin « d’ancrer le principe de laïcité » l’instrumentalise et ajoute encore à la difficulté pour les entrepreneurs de gérer des demandes confessionnelles de plus en plus pressantes. On ne peut que déplorer la distorsion de contraintes entre la stricte neutralité imposée au service public et le droit d’expression – où fixer la limite avec le prosélytisme religieux ? - en entreprise. Laïcité ou non en entreprise, cette question qui intéresse le législateur n’est pas posée. On ne va jamais au fond des problématiques. Rien n’est plus important que ménager son électorat.
Or, la liberté de religion à laquelle on croit devoir associer les pratiques religieuses - faut- il y inclure le droit de refuser de recevoir des ordres d’une supérieure hiérarchique ? – en tous lieux, est de fait considérée comme un droit fondamental attaché à la « personne ». Dans ses conditions il ya lieu de se demander quelle approche du fondamentalisme s’imposera au « fondamental ».
En tout état de cause, ce texte d’inspiration subsidiariste et communautariste marque un net recul des droits et protections des salariés soumis plus que jamais à la loi du profit et de la soumission idéologique au patronat via notamment les accords d’entreprise qui de fait instituent un droit local différent d’une entreprise à l’autre, dérogatoire à la législation nationale. Ce texte dangereux pour les libertés des salariés est inamendable puisqu’il remet en cause l’ensemble de l’édifice juridique destiné à protéger les travailleurs doit être retiré. La balle est dans le camp du peuple des salariés actuels et à venir en attendant l’étape suivante, la mise en route du processus constituant.
Loïck Gourdon, Cercle de Nantes
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