De : Louis SAISI
Envoyé : dimanche 8 mai 2016 14:20
Objet : De l'usage du 49-3...
Envoyé : dimanche 8 mai 2016 14:20
Objet : De l'usage du 49-3...
Chers amis,
De manière plus ou moins voilée, le Gouvernement brandit la menace de faire usage de l’article 49-3 de la constitution pour faire passer en force la loi dite « loi travail »… Il nous semble difficile de souscrire à un tel choix politique.
Vous trouverez ci-dessous et en envoi attaché, quelques réflexions sur ce sujet.
Revenons à l’essentiel du débat qui pourrait se résumer en trois points :
I/ La France appartient aux « démocraties » dites « parlementaires » dans lesquelles le Parlement fait la loi.
Cela se traduit par le fait que le Parlement dispose de trois prérogatives :
-
l’initiative des lois, d’ailleurs très largement partagée avec le
Gouvernement qui a déjà pris une part prépondérante dans ce domaine au
point que la majorité des lois sont d’initiative gouvernementale ;
-
le vote des lois : le Parlement se prononce sur un texte qu’il a ainsi
le droit d’adopter ou de rejeter à la majorité de ses membres ;
-
le droit d’amender les lois, quelle que soit leur origine
(parlementaire ou gouvernementale). La raison en est qu’en cas de
désaccord avec une partie d’un texte ou sur tel ou tel point précis,
voire de détail, le Parlement, plutôt que de rejeter le texte dans sa
totalité, a le droit de le modifier. Ce n’est pas « tout » ou « rien ».
C’est
cela même qui constitue le travail du Parlement et qui en fait sa
raison d’être. Selon un principe rationaliste - que l’on n’invoque plus
guère aujourd’hui -, nos Anciens avaient la faiblesse de penser que
c’est de la discussion, de la confrontation des idées, que jaillit la
lumière… En tout cas, au moins, le compromis…
Le
droit d’amendement du Parlement est d’autant plus légitime que les
textes d’origine gouvernementale ont été préparés le plus souvent en
petits cénacles fermés au sein des cabinets ministériels avec le
concours de conseillers - plus ou moins inspirés… et parfois occultes –
et en tout cas toujours non élus… Lorsqu’un texte soulève des tempêtes
d’oppositions ou une pluie d’amendements, si l’on peut concevoir que le
Gouvernement en soit fort contrarié (l’exercice
continu et prolongé du pouvoir ne rend guère enclin à l’écoute de la
critique…), l’on est néanmoins en droit de se demander :
Merci à la CGT Haute-Vienne pour ce dessin |
1°) si ce texte est opportun :
ainsi, par exemple, dans le cas qui nous occupe, une remise en cause
des grands principes du Code du Travail est-elle saine et souhaitable
compte tenu de la transformation fondamentale de notre droit social
qu’elle implique et porte ? Le regretté professeur CASSIN, prix Nobel
de la Paix - qui a introduit les droits économiques et sociaux dans la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (voir
notamment les articles 22, 23, 24, 25) – doit se retourner dans sa
tombe… Rappelons enfin que le préambule de cette même Déclaration
magnifique s’ouvrait ainsi : « Considérant
que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la
famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le
fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde »…
Pourtant,
ce Gouvernement n’en est pas à ses premières difficultés avec la
représentation parlementaire. En effet, quant à l’opportunité du texte
sur la loi travail (ayant fait l’objet d’une curieuse appropriation
personnelle, assez peu républicaine » par notre suffisante et
télégénique Ministre du Travail : « ma loi »…), le Gouvernement actuel
eût été bien inspiré de tirer les leçons de ses deux échecs précédents :
-
- Échec du projet de révision constitutionnelle en vue de permettre la
ratification de la charte européenne des langues régionales ou
minoritaires ;
- - Échec du projet de révision constitutionnelle sur la déchéance de nationalité…
2°) s’il a été bien préparé :
concertations avec tous les partenaires sociaux et non réception et
prise en charge au sommet de l’Etat de la revendication unilatérale de
l’un de ces partenaires…
Autrement
dit, en cas de rejet global d’un texte par une grande partie de la
classe politique, le Gouvernement récolte souvent ce qu’il a semé…
Rappelons tout de même que cette hâte du Gouvernement à vouloir modifier au pas de charge plus d’un siècle de gestation du droit du travail est bien inquiétante…
En effet, la genèse du Code du Travail remonte au 14 mars 1896… Le député socialiste Arthur GROUSSIER
déposait alors une proposition de loi sur la codification des lois
ouvrières. Différentes propositions de lois et de résolutions dans ce
domaine se succédèrent ensuite mais n'entrèrent en résonance qu'en 1906
avec le ministère VIVIANI qui envisageait la codification en quatre
livres des lois ouvrières.
C’est ainsi que le premier livre du code du travail, intitulé Code du travail et de la prévoyance sociale, devait être adopté par la loi du 28 décembre 1910
qui portait sur les conventions relatives au travail (contrat
d’apprentissage, contrat de travail, salaire et placement). Sa
préparation prit toutefois du retard : compilant des lois qui
existaient déjà (loi relative à la création des syndicats professionnels, loi de 1892 limitant à 11 heures par jour le temps de travail des femmes et des enfants, loi sur l'indemnisation des accidents du travail), il ne fut achevé que le 25 février 1927
avec l’adoption du livre III sur les groupements professionnels
(entre-temps l’on avait renoncé à y inclure la partie relative à la
« prévoyance sociale »).
1896…
1927 = 31 ans pour le « gros œuvre » du Code du Travail… Mais il
continua à se construire ensuite. Et pour ne rappeler ici que les
étapes essentielles, citons : les lois des 11 et 12 juin 1936 du Front
populaire (extension des conventions collectives, l'institution de délégués du personnel, le relèvement des salaires, les 15 jours de congés payés et la semaine des 40 heures) ; 1945 (mise en place de la sécurité sociale) ;lois de 1982 (dites Lois Auroux) ; lois de 1998 et 2000fixant la durée légale du temps de travail salarié à temps plein à 35 heures par semaine, en moyenne annuelle, au lieu de 39 heures précédemment.
Ainsi
le Code du Travail ne s’est pas fait en un jour mais sur plus d’un
siècle, lequel fut jalonné de tensions sociales, de heurts, de luttes
ou/et de compromis sociaux… pour donner une certaine expression du
droit émanant du corps social lui-même et applicable dans l’entreprise
dans les rapports des salariés avec leurs employeurs… Le code du
Travail est monté des profondeurs du corps social et n’est pas le
simple fruit résultant de l’exercice d’un trait de plume ou d’une
législation purement formelle (cf. sur ce point la pensée lumineuse du
Doyen DUGUIT sur les transformations et la socialisation du droit).
III/ Le 49/3 ? Pour quoi faire, et au nom de quoi ?
Certes,
la Constitution prévoit au profit du Gouvernement l’usage du 49/3 qui
constitue une recette du parlementarisme rationalisé puisque les
députés sont soumis à la pression de la dissolution de l’assemblée en
cas de dépôt et de vote d’une motion de censure. Et donc ils sont
invités soit à se taire et laisser passer un texte - auquel ils
n’adhèrent pas forcément -, soit à « tout casser » en ouvrant une crise
ministérielle avec ce que cela comporte d’insécurité politique…
En
principe, au moins si on lit attentivement les dispositions de
l’article 49 de la Constitution, cet armement juridique du Gouvernement
est conçu prioritairement pour le vote d’un projet de loi de finances
ou de financement de la sécurité sociale car le vote du budget est
considéré par l’Exécutif comme nécessaire à ses objectifs politiques,
de même que l’est le vote de la loi de financement de la sécurité
sociale pour atteindre les objectifs de la politique de santé du
Gouvernement. Dans les deux cas, il va de soi que, comme on le dit
habituellement, l’argent est le nerf de la guerre…
Certes, il est vrai aussi qu’aux termes mêmes de l’avant dernier alinéa de l’article 49 de la Constitution « Le Premier Ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».
Mais alors, mutatis, mutandis,
sur les projets de loi ordinaire, il doit en être pareillement que pour
le vote du budget ou de la loi de financement de la sécurité sociale
(avec ici une exigence encore plus grande), à savoir que le texte en
cause doit être considéré comme nécessaire, voire indispensable à
l’action politique du Gouvernement. Est-ce le cas en l’occurrence ? La
réponse est bien évidemment négative ! Qui peut croire décemment, et de
bonne foi, que cette loi dite « loi travail » dans sa teneur actuelle
est indispensable à la politique du Gouvernement ?
Si
94% de nos lois sont d'origine gouvernementale, c'est-à-dire émane des
cabinets ministériels, c'est à dire de l'énarchie, cela doit bien
évidemment avoir comme contrepartie la nécessité d’une active et forte
présence parlementaire dans la discussion de leur contenu avec le droit
d’amendement qui s’attache naturellement à toute discussion
parlementaire.
Par
ailleurs, si, du fait de la répartition des "matières" relevant des
domaines de la Loi et du Règlement résultant des articles 34/37 de la
Constitution, le nombre des lois a diminué - il est passé, selon le
professeur Olivier DUHAMEL, d'une moyenne de 234 lois par an de 1947 à
1958 (sous la 4ème République) à une moyenne de 69 par an de 1959 à
1993 (cela fait donc une moyenne de moins de 6 lois par mois, ce qui
n'est pas extraordinaire) -, cela permet donc de dégager plus de temps
pour leur discussion et adoption.
C’est
dire que les exceptions à la règle du vote d’un texte de loi par le
Parlement (application de l’article 24 de la Constitution) doivent être
interprétées de manière stricte et ne pas devenir un moyen ordinaire -
de même que la réforme constitutionnelle - pour gouverner sans le Parlement, voire contre le Parlement, avec ce qu’on appelle un « passage en force »…
Dans
ce domaine, la gauche – si critique dans ses années de forte opposition
au pouvoir gaulliste pour revendiquer la restauration du rôle du
Parlement (on se souvient du livre « Le coup d’Etat permanent »,
brûlot de François MITTERRAND publié chez Plon en 1964) - n’a jamais
brillé, une fois revenue aux affaires, par l’acceptation du rôle du
Parlement. Pierre MAUROY fit usage, en 3 ans, 5 fois du 49-3 pour
faire adopter 5 textes.
Mais la palme en revient incontestablement au 2ème
gouvernement de Michel ROCARD (24 juin 1988- 16 mai 1991) qui, durant
ses 3 années d’existence, en fit usage pas moins de 12 fois…
Super, Nawak... |
L’on
comprend que le Premier Ministre Manuel VALLS inscrive ses pas dans
celui de son mentor politique, lui-même initiateur de l’introduction de
la pensée libérale dans ses années de contestation du leadership
mitterrandien au sein du PS…
Mais
dans ce sillon, déjà en soi si discutable, il serait très aventureux
pour l'avenir de la France, pour des raisons de commodité
circonstancielle et sur un sujet aussi grave (la pétition contre le
projet de loi gouvernemental a mobilisé plus de 1. 200 000 signatures
et l’ensemble des syndicats de salariés et leur cohorte de
manifestations) d’aggraver la crise aigüe de la « représentation » que
nous connaissons aujourd’hui.
Cette véritable crise de confiance structurelle
entre les citoyens et la classe politique dans son ensemble risque
d’être confortée par une telle « législation forcée » (l’expression
est du professeur DUHAMEL déjà cité) bousculant la place de la
représentation nationale dans des débats aussi essentiels que
fondamentaux que ceux qui sont abordés par cette loi dont le
Gouvernement, rappelons-le, est lui-même à l’origine.
De grâce ! Ne substituons pas l’argument d’autorité à celui du débat et de la démocratie.
LS
Paris, le 8 mai 2016
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